lundi 5 novembre 2007

La nation française et ses grands hommes selon Droit d’inventaire par Sébastien Schick


Le mercredi 10 octobre 2007, France 3 a diffusé en « prime time » le premier numéro de l’émission mensuelle Droit d’inventaire, présentée par Marie Drucker et consacré au Général de Gaulle. Le propos n’est pas ici de dénoncer ou de remettre en cause certaines affirmations péremptoires, visant à glorifier coûte que coûte, et dans chacun de ses actes, la mémoire du Général (le discours du 15 juillet 1967 sur le « Québec libre » qualifié de « provocation géniale » et de « coup d’éclat historique » en aura pourtant fait rire plus d’un). Il ne s’agit pas non plus de s’interroger sur ce genre télévisuel hybride qui fait passer pour une émission d’histoire sérieuse ce qui n’est en fait qu’un nouveau magazine « d’enquêtes » à la manière de Secrets d’actualité.
Il semble plus important, en effet, de réfléchir à la conception de l’Histoire implicitement véhiculée par cette émission et de faire clairement apparaître les conséquences politiques sous-jacentes qu’elle implique. L’histoire du général commencerait le 18 juin 1940. 1er reportage : De Gaulle est un anonyme nous dit-on, et il est seul. Par un acte génial, il fait alors son entrée dans la Lumière ; par les quelques mots de son appel, il bouleverse l’Histoire. 2ème et 3ème reportage, et sans transition : le retour du Général en 1958 et la question de la torture en Algérie. Seul un homme de cette envergure et d’un tel charisme pouvait sauver la France de la guerre civile mais était-il au courant des pratiques de l’armée et de la police française ? 4ème reportage : le voyage du Général au Québec en 1967, ou comment, par un simple discours, le Président de la République a réussi à exprimer les revendications des « Français du Canada » qui se sentaient opprimés depuis 200 ans. Ces nombreuses affirmations sont discutables, pour le moins. Mais surtout, l’Histoire présentée ainsi se résume à celle des grands hommes qui la font, et à celle des grands gestes, des grands événements qui la façonnent. Une telle conception historiographique n’est-elle pas considérée comme désuète depuis une centaine d’années environ ? Mais justement, ceux qui ne cessent de renouer avec la façon dont les hommes du 19ème siècle écrivaient l’Histoire, partagent sans doute aussi leurs présupposés sur la fonction politique et sociale de cette discipline : l’histoire ne saurait être autre chose qu’une histoire de la nation et sert alors à reconstituer la trame du roman national, constitué de héros et de grandes scènes. Ainsi, la France est incarnée siècle après siècle par de grands personnages, dont le destin est justement d’en écrire les pages les plus glorieuses, ou comme le dit bien mieux que moi le « grand témoin » de cette première émission, Max Gallo : « Dans tout Français, il y a un héritier de de Gaulle. (...) Il a incarné à partir du 18 juin toute l’Histoire de France. Il est à la fois Clovis, Jeanne d’Arc, Napoléon, Louis XIV » Or, bien sûr, face à ces événements, c’est là le destin d’un tel homme d’écrire une des plus belles pages de l’histoire nationale... Selon Max Gallo, les mots de l’appel du 18 juin, « il les a écrits à partir de l’âge de 10 ans. (...) Dès l’enfance, il avait en effet la passion de la France ». Evidemment, une telle conception de la nation (millénaire, Grande, immuable) et de son histoire qui débuterait dès Clovis - et Vercingétorix, alors ? - a son corollaire : la partialité. Charles Pasqua et Max Gallo, alors présents sur le plateau, ne peuvent accepter les conclusions du reportage consacré aux tortures en Algérie, qui ternissent l’image de la nation : le premier rappelle en effet que la torture était une pratique courante dans les deux camps alors que le second, s’il reconnaît là une « plaie de l’Histoire nationale » s’empresse d’ajouter : « mais nous étions dans une période de guerre civile qui laisse les mains sales à tous ceux qui y participent ». L’honneur de la nation est sauf...
Au delà de ces petites phrases qui parlent en fait d’elles-mêmes, c’est l’ensemble de l’émission, qui par sa structure, son sujet et le choix des événements abordés, est construite d’après une conception de l’Histoire qui enfante alors, presque naturellement, une lecture nationaliste de l’Histoire de France. Et les applications politiques ne sont jamais très loin : la France a besoin de grands hommes en temps de crise, la politique se fait surtout par de grands symboles et de grands discours, la nation a bien une identité car elle est immuable... La liste des témoins invités est ici démonstrative : outre Max Gallo (grand spécialiste du Général de Gaulle, mais aussi de César, Napoléon, les Chrétiens, Victor Hugo, Marc Aurèle et Spartacus), on pouvait noter la présence de Line Renaud, Charles Pasqua, Maître Vergès, Nathalie de Gaulle (l’arrière petite fille), Henri Guaino (en tant que « plume » du président Sarkozy, il était sans aucun doute le plus qualifié en France pour analyser les discours du Général de Gaulle), et, tout de même, pour parler de mai 68, Jack Lang.
Il s’agissait bien d’une émission d’histoire, et non pas d’une émission politique, n’est-ce pas ? C’était donc pour cela qu’il n’y avait aucun historien sur le plateau.

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