vendredi 9 mars 2007

Appel pour une vigilance sur les usages publics de l’histoire



par Michel Giraud (CNRS)
Gérard Noiriel (EHESS)
Nicolas Offenstadt (Université de Paris 1)
Michèle Riot-Sarcey (Université de Paris VIII)

Dix-neuf personnalités viennent de signer un texte sur « la liberté de l’histoire ». Il n’était sans doute pas inutile de rappeler au grand public les principes sur lesquels repose notre discipline. Néanmoins, nous nous interrogeons sur le bien-fondé de cette initiative tardive.
La pétition lancée le 25 mars 2005 contre la loi du 23 février 2005, dont l’article 4 affirme que " les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ", appelait déjà tous les démocrates à condamner un texte voulant imposer « une histoire officielle, contraire à la neutralité scolaire ». Cette pétition a été signée par plus de mille collègues. On peut donc regretter qu’à l’exception de deux d’entre elles, ces dix-neuf personnalités n’aient pas marqué dès ce moment-là leur souci de défendre la « liberté de l’histoire ».
Nous sommes satisfaits de constater qu’aujourd’hui, elles réclament elles aussi, la suppression de l’article de loi en question. Malheureusement, en exigeant dans le même temps l’abrogation des lois du 13 juillet 1990 (loi dite Gayssot, tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe), du 29 janvier 2001 (relative à la reconnaissance du génocide arménien) et du 21 mai 2001 (reconnaissant la traite négrière et l’esclavage en tant que crime contre l’humanité), leur texte ne fait qu’aggraver la confusion entre histoire et mémoire, au lieu de clarifier les choses. Il ne nous parait pas possible que des historiens puissent, au nom de la « liberté de l’histoire », s’affranchir des normes, aujourd’hui reconnues par les plus hautes instances internationales, qui font de la condamnation et, encore plus, de la prévention des génocides et des crimes contre l’humanité, une impérieuse nécessité. Cette démarche ouvre une brèche dans laquelle le pire peut s’engouffrer. Le Front National a d’ailleurs immédiatement saisi l’occasion de cette proclamation d’une « liberté de l’histoire » pour exiger à nouveau l’abrogation la loi Gayssot.
Nous tenons donc à rappeler avec force que la connaissance scientifique de l’histoire et l’évaluation politique du passé sont deux démarches nécessaires dans une société démocratique, mais qu’elles ne peuvent pas être confondues. Il n’appartient pas aux historiens de régenter la mémoire collective. Par ailleurs, la « liberté de l’histoire » ne se limite nullement à la question du rapport à la loi. Nous devons nous interroger aussi sur les relations que les historiens entretiennent avec le journalisme, avec le monde associatif et la classe politique. La mission que le chef de l’Etat a confiée au Président de l’Assemblée nationale « pour évaluer l’action du Parlement dans les domaines de la mémoire et de l’histoire » est l’occasion d’ouvrir une vaste réflexion sur toutes les dimensions de cette « liberté de l’histoire ». Ce débat ne doit pas être monopolisé par quelques personnalités académiques ou médiatiques car personne n’est habilité dans ce pays à parler au nom de tous les historiens. C’est la raison pour laquelle nous avons créé un « Comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire »qui rassemble déjà un grand nombre d’enseignants et de chercheurs, animés par le souci de défendre l’autonomie de l’histoire et désireux de participer à la réflexion collective sur les usages du passé dans le monde d’aujourd’hui.
Nous appelons tous ceux qui partagent ces préoccupations à rejoindre notre comité de vigilance.

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